Électricité : pourquoi la France reste la championne mondiale de l’autosuffisance énergétique ?

Électricité : pourquoi la France reste la championne mondiale de l’autosuffisance énergétique ?

La notion de souveraineté énergétique est aujourd’hui au cœur des débats, tant pour des raisons économiques que climatiques. Elle se définit comme la capacité d’un pays à couvrir ses propres besoins énergétiques sans dépendre de ses voisins. En Europe, où les choix politiques ont divergé depuis vingt ans, la France se distingue par son excédent de production électrique.

En 2024, l’analyse croisée de la production et de la consommation par habitant révèle une France largement autosuffisante, portée par son parc nucléaire et hydraulique. À l’inverse, l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni doivent importer massivement pour équilibrer leur réseau. Qu’en est-il réellement de cette autosuffisance française et comment se situe-t-elle face aux grandes puissances mondiales ?

La France, pilier de l’électricité européenne

Un excédent unique en Europe

Avec 8 378 kWh produits par habitant pour 7 028 kWh consommés, la France dégage un excédent de +1 350 kWh par habitant en 2024. Aucun autre pays européen n’affiche un tel surplus. Cet avantage lui permet non seulement d’assurer sa sécurité d’approvisionnement, mais aussi d’exporter massivement vers ses voisins déficitaires.

Le rôle central du nucléaire et de l’hydraulique

Ce résultat est l’héritage de la stratégie nucléaire lancée dans les années 1970. En 2024 :

  • le nucléaire fournit 379 TWh, soit 68 % de la production,
  • l’hydraulique représente 69 TWh, soit 12 %,
  • le reste du mix se compose d’énergies renouvelables et fossiles.

Même si la part de l’atome a baissé par rapport à 2000 (78 % à l’époque), il demeure le socle d’une énergie décarbonée et pilotable, clé de la souveraineté française.

L’Europe coupée en deux : excédent français vs. dépendance allemande, italienne et britannique

Allemagne : la facture de la sortie du nucléaire

L’Energiewende (transition énergétique) a transformé le paysage électrique allemand, mais au prix d’une dépendance accrue. Après avoir fermé ses trois dernières centrales en 2023, l’Allemagne doit compenser avec :

  • 43 % de renouvelables (éolien + solaire),
  • 22 % de charbon,
  • un recours massif aux importations.

Résultat : un déficit de -311 kWh par habitant. L’intermittence des renouvelables et l’absence de production pilotable stable pèsent lourdement.

Italie : l’ultra-dépendance au gaz

Depuis l’abandon du nucléaire en 1987, l’Italie a construit un système électrique reposant quasi exclusivement sur le gaz naturel (44 % du mix). En 2024, cela se traduit par un déficit record de -860 kWh par habitant. Cette dépendance aux importations rend l’Italie vulnérable aux fluctuations géopolitiques et aux prix du marché international.

Royaume-Uni : entre succès et fragilités

Le Royaume-Uni a quasiment éradiqué le charbon (moins de 1 % en 2024) et misé sur :

  • le gaz naturel (30 %),
  • l’éolien, surtout en mer (29 %),
  • un nucléaire vieillissant (14 %).

Mais cette transformation laisse le pays en déficit de -480 kWh par habitant. La dépendance aux interconnexions européennes demeure forte pour compenser l’intermittence de l’éolien.

Les grandes puissances mondiales : diversification et gigantisme

États-Unis : la résilience du « tout-en-un »

Grâce au gaz de schiste et au développement des renouvelables, les États-Unis atteignent un quasi-équilibre (-40 kWh/hab.). Leur mix repose sur :

  • 42,5 % de gaz naturel,
  • 18 % de nucléaire,
  • 17 % de renouvelables (éolien + solaire),
  • 15 % de charbon.

Leur stratégie, surnommée « All of the Above », repose sur la diversification : aucun pilier unique, mais un ensemble d’énergies capables de se compenser en cas de crise.

Chine : entre charbon massif et renouvelables géants

La Chine est le plus grand producteur et consommateur d’électricité au monde. En 2024, elle maintient un équilibre (+10 kWh/hab.) grâce à une production colossale (10 087 TWh).

Son mix repose encore à 58 % sur le charbon, mais le pays est aussi leader mondial en éolien et solaire, avec une part renouvelable de 32 %. La Chine produit désormais plus d’électricité verte que les États-Unis et l’Europe réunis, illustrant un double visage : dépendance au charbon et domination des renouvelables.

Les champions renouvelables : Canada et Espagne

Canada : l’hydroélectricité comme colonne vertébrale

Avec 16 023 kWh produits par habitant pour 15 708 consommés, le Canada dégage un surplus de +315 kWh/hab. Sa force ? L’hydroélectricité, qui fournit plus de la moitié de son électricité (54 %).

Sa consommation colossale s’explique par :

  • un climat rigoureux,
  • des industries énergivores (aluminium, mines),
  • une faible densité de population et des infrastructures dispersées.

Espagne : leader de la transition solaire et éolienne

L’Espagne affiche un excédent de +213 kWh/hab. grâce à un mix dominé par :

  • 22,4 % d’éolien,
  • 20,9 % de solaire,
  • 11,6 % d’hydraulique.

En vingt ans, le pays est passé du charbon (36 % en 2000) à un modèle dominé par les renouvelables. Mais cette réussite s’accompagne de nouveaux défis : en avril 2025, un blackout massif a révélé la difficulté de gérer un réseau trop dépendant de sources intermittentes.

Tableau comparatif : Production vs Demande par habitant (2024)

Pays Production (kWh/hab.) Demande (kWh/hab.) Solde
France 8 378 7 028 +1 350
Canada 16 023 15 708 +315
Espagne 5 852 5 639 +213
Chine 7 107 7 097 +10
États-Unis 12 701 12 741 -40
Allemagne 5 673 5 984 -311
Royaume-Uni 4 110 4 590 -480
Italie 4 456 5 316 -860

En résumé : la souveraineté française, un modèle à défendre

En 2024, la France s’impose comme la seule grande puissance européenne autosuffisante en électricité, grâce à son mix nucléaire et hydraulique. À l’échelle mondiale, seuls le Canada, l’Espagne, la Chine et les États-Unis peuvent revendiquer une position comparable.

Mais cette force n’est pas acquise : le vieillissement des centrales, la dépendance croissante aux renouvelables intermittents et les enjeux climatiques imposent de repenser la stratégie. Le défi à venir sera de concilier souveraineté, décarbonation et stabilité du réseau.